Le gefilte fisch

Le gefilte fisch (en yiddish ou encore gefilte fish pour les anglophones), plat typique de la cuisine ashkénaze, est avant tout le lieu où repose l'âme d'un poisson. Par un habile jeu sur la symbolique et le sacré, ne voilà-t-il pas que l'animal, enfermé dans un sarcophage de verre, ou de métal pour les moins chanceux, se trouve être en position de devenir « chair à manger ». Il s'oppose par là même, oui là, à son contenu, renverse la situation, bouscule l'ordre cosmique et les théoriciens psychanalystes de bazar. Car ce n'est pas le bocal qui mange son ami poisson mais bien un autre agent de l'action venu d'on ne sait où mais avec, dans tous les cas, un appétit féroce.

Doué de pouvoirs psychokinétiques puissants (Psi-Kappa), le gefilte fisch peut, malgré son inertie évidente, communiquer avec l'extérieur de son tombeau, en particulier avec une espèce de monstre de rivière japonais que nous appellerons kappa (河童) puisque c'est son nom. Contrôlant la malheureuse créature nippone le gefilte fisch pense d'abord à retourner d'où il vient, soit le vaste océan. Mais, à moins d'être mis en vente sur le sol japonais, il y a de forte chance que l'entreprise soit vouée à l'échec. Concernant l'agent de l'action cité plus haut que nous appellerons consommateur, puisque c'est son nom, il arrive dans de rares cas que celui-ci récupère les pouvoirs psi de la carpe farcie et en profite pour prendre le dessus sur ses contemporains ou même pour les asservir, car ils le méritent. Rien que ça justifie bien l'excès de gefilte fisch.