La steppe

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La révolution Aron

La révolution Aron est l'Événement (notez le É majuscule) qui se situe avant 1987. Peu de choses, pour ne pas dire de simples presque riens, sont connus sur cet épisode, pourtant clef, de l'Histoire. Il y est question d'un bouleversement des données, d'un renversement de l'ordre cosmique et d'une redéfinition de la dialectique sociale, gratuite et universelle à la lumière des reproches plus que discutables de Monsieur Jean-Paul Sartre, ce troisième élément étant le plus important du lot si les chroniqueurs ne nous ont pas raconté des craques.

Le sensationnalisme se nourrissant peu des révolutions philosophiques, viande pauvre en vitamine et en clinquant, aucun journaliste du spectacle (tautologie debordienne dirait le lacanien par manque d'inspiration) n'a jamais osé mettre en première page de son quotidien de presse la victoire écrasante du chevalier Raymond Aron sur les forces obscure de l'existentialisme sartrien. Le combat éternel entre le bien et le mal a enfin pris fin et tout le monde s'en fiche. De ce triste constat est née l'idée de sacraliser ce moment, de le mythifier plutôt que de mystifier qui que ce soit. Mieux vaut donc n'en parler qu'à demi-mot, en petit comité secrets, à l'abri des regards indiscrets et des oreilles fouineuses.

Afin de ne pas fâcher le curieux, un extrait bien choisi des Mémoires d'outre-tombe et plus loin encore de Casimir Perier clora cet article : le début du VIIIe chapitre, qui fait allusion au sujet sans pour autant dévoiler son funeste secret. Gloire à lui !

L'extrait :

La Révolte des machines survenue au cours du règne intermédiaire de Prosper le Magnifique avait eu bien des conséquences. Au premier abord, la destruction de l’ordre ancien avait entraîné un abandon des coutumes obsolètes liées à la domination de l’homme sur la machine. Mais dans un second temps, il est indéniable que le prolétariat siliconé, à travers sa lutte triangulaire, est parvenu à mettre en place un nouveau type de gouvernement fondé sur une approche non pas linéaire, comme cela était le cas lors des précédentes révolutions, mais bel et bien circulaire, ou cyclique, ou tout du moins libérale. Certes, le phalangisme robotique de l’après-Révolte ne présente aucune des propriétés inhérentes à ce type de système politique ; il n’en est néanmoins pas vrai que, si l’on en croit les écrits d’Agugus Comte, toute cheville représentative liée à l’anarchisme critique de l’athéisme luthérien ne saurait constituer, à elle seule, un mode de gestion des activités simili-humaines digne de ce nom.

Aaron Presgurvic, Métaphysique de la castration au temps de nos ancêtres

La jeune fille étendue sur la grève, le cœur battant, ne savait où donner de la tête. Elle avait été relâchée, le matin même, des fosses oxydantes de Zoltarg le Fugace, mais ses forces l’avaient bien vite abandonnée ; avant la tombée de la nuit, elle savait qu’elle aurait probablement succombé aux blessures que les ptérocéphales n’allaient pas manquer de lui infliger si elle restait là, prostrée, une proie idéale pour leurs redoutables serres psioniques. Il lui fallait se remettre en route, aussitôt que possible, si elle ne voulait pas finir dans l’estomac d’un de ces êtres veules et méprisables que les habitants de Vrunelg redoutaient plus que tout. Plus que tout ? Pas tout à fait, pensa-t-elle, haletante, entre deux bouffées de l’air vicié qui entourait la plaine de Zwinx d’une chape de plomb. Il lui fallait encore retrouver la dague sacrée subtilisée à son aïeule, Rhimella la Puante, le jour de ses noces de sang, par les sectateurs du Grand Zoll. Oui. Indéniablement, elle ne pouvait faillir maintenant. Cela faisait trois ans qu’elle avait infiltré la filière d’esclaves de Zoltarg, et nul ne se mettrait plus en travers de son chemin. Elle savait désormais où trouver la dague. Si seulement elle parvenait à regagner le phalanstère dont elle dépendait, alors tout ne serait pas perdu. Mais elle sentait ses forces décliner rapidement, la sève de sa vie se vider comme un ballon de baudruche que la différence de pression atmosphérique aurait convaincu de sa médiocrité de classe. Sa dernière pensée, au moment où elle vit fondre sur elle la terrible gueule d’un ptérocéphale, fut pour Finula. « Finula… », pensa-t-elle, « toi seule peut encore sauver la Grand’Ruche du terrible destin qui l’attend, si la dague du pouvoir tombe entre les mauvaises mains ! Courage, ma sœur, courage ! Et n’oublie pas de repasser mes chaussettes avant demain ! ».

James Joyce se réveilla d’un long sommeil. Il avait dormi longtemps. Trop longtemps. Le monde n’avait sans doute pas pu se passer de lui pendant tout ce temps. Les choses allaient forcément mal. Il replaça son bandeau sur l’œil droit (ou s’agissait-il du gauche ? Les hagiographes du Grand Borgne se disputaient avidement pour obtenir gain de cause dans cette querelle qui animait les salons littéraires depuis des lustres sans nombre). La mort ne l’avait pas usé, il était toujours le même. À moins que ? Une pensée soudaine fit irruption dans son occiput. Il n’osa la contempler de face, aussi prit-il le temps de l’aborder par une allée latérale qui passait par là. Il ne la trouva pas à son goût. L’homme de Dublin coiffa son chapeau et partit, rageur, en quête d’une taverne où siroter posément une pinte de stout tandis qu’il planifierait son retour parmi les vivants.

Tournevis se réveilla au paradis des chats. « Miaou ? » se demanda-t-il. Personne ne lui apporta de réponse satisfaisante. Aussi décida-t-il de faire une petite sieste. On verrait bien après.